mercredi 9 avril 2008

Je(u) de soi : le rapport d'étonnement de Francis Jaureguiberry

Francis Jauréguiberry : Sylvie Le Bars nous disait qu’au départ, ça lui avait coûté de se dévoiler, que ça avait été dur pour elle de mettre des photos en ligne. Alors qu'est-ce qui t'a amené à faire ça Sylvie ? Tu es rentré là-dedans par le biais du travail, certes, mais qu'y a-t-il d'autre ? Qu'est-ce qui t’a motivé à faire un site personnel ? Même question pour Laurent. Tu nous as dit que tu avais créé une page perso pour, je vais vite, faire un deuil, accepter la disparition de ton ami en conservant sa mémoire, en publiant ses poèmes.

Dans les deux témoignages, on remarque qu'on se lance à faire un blog, à rendre public son vécu, ses réflexions, sans trop savoir pourquoi, et, qu’au départ au moins, ça coûte "un peu". Mais, qu’au fur et à mesure où l'on rentre dans l'expérience du blog, dans cet entre-deux privé-public, il se crée quelque chose de positif. Mais justement, qu'est-ce qui est "positif" ? La reconnaissance qui nous est fournie par les autres ? Le fait de pouvoir vivre ainsi des pans entiers de notre personnalité qui, dans le réel du quotidien ne sont pas forcément très atteignables ?

Visiblement, ce qu’apporte l'outil "magique" du blog, c'est qu'on peut :
1- habiter un personnage un peu décalé par rapport à notre position sociale, et aux rôles que nous impose notre statut.
2- donner vie à ce personnage en le donnant à voir ;
3- et, car sinon ça ne dure pas, recevoir un feedback.

L'expérience du blog est assez nouvelle. Si on regarde ce qui est généralement dit ou écrit sur les blogs, je suis frappé par le fait que l'essentiel des commentaires est plutôt craintif : les gens vont s'enfermer dans du virtuel, le fictionnel va les couper de la réalité, le fait de trouver son compte dans cette fiction va se traduire par un désengagement du citoyen. Les gens vont cesser de vouloir transformer le réel parce que, prenant leur pied dans le virtuel, ils vont être de plus en plus détachés du réel.
Autre point intéressant : le blogoblues que Laurent Gloagen évoquait. Il faudrait approfondir ça. Parce que le moment où j’ai senti le plus d’intimité dans son témoignage, c’est lorsqu’il nous a parlé de ce gros passage à vide. A-t-on le blues d'être drogué au virtuel ? Dans la vie « réelle », nous sommes constamment confronté à l’injonction de « réussir sa vie », à la nécessité de vivre « intensément », « pleinement ». L’individu contemporain se balade avec un idéal de soi gros « comme ça ». Et la plupart du temps, il mesure sous la forme d’une déception l’écart entre cet idéal de soi et le soi réel, celui qu’il habite dans le quotidien. Le fait de pouvoir vivre de façon décalé par rapport au soi réel, et plus en accord avec l’idéal de soi sur le web est sans doute une des motivations de l’exposition de soi sur Internet. Ou plutôt de l’exposition de ses soi. Tout ceci a vraiment à voir avec la construction identitaire. Si l'on veut être non pas quelqu'un d'autre que ce que notre position sociale nous impose mais en plus de cela, on voit que ce genre de pratique comble un déficit, est révélateur d’un manque, d’un besoin d’être dans toute sa richesse, y compris évidemment imaginaire.

Pour autant, il y a quelque chose de nouveau. Ce pan identitaire alternatif rencontre un écho et crée du lien. Il est construit dans la relation qui se noue avec les autres sous formes de commentaires et de réponses. On sait très bien que les blogs sans échos meurent très vite. Le « je » de la narration est constamment réécrit et réécrit avec les autres. Ces traces que l'on laisse ne sont pas uniquement individuelles, parce qu'il y a eu des réactions. Tout devient donc plus complexe. Cette scission entre intime et public devient plus floue. Est-ce que cette opposition a toujours du sens dans cet entre-deux qu'est le dialogue de soi se faisant avec les autres, dans une forme d'échange inédite ?

Pour Sylvie Le Bars, cela a une incidence direct dans la façon dont elle vit le « réel » : elle en est venu à vivre, nous a-t-elle dit, en pensant constamment « comment je vais parler de ce que je vis sur mon blog ? » Et elle dit même que cela enrichi ses expériences. Il y a comme un phénomène de vécu-réflexivité constant. C’est vraiment très intéressant : on vit des choses en pensant comment on va en parler, comment on va les transmettre. On ne vit plus les choses alors de la même façon et si on ne peut plus les transmettre, on ne les vit plus non plus de la même façon. En fait, je crois que tout cela, le fait de pouvoir faire partager de multiples pans de sa personnalité en plus des sois « officiels », le fait aussi de vivre des choses en pensant déjà à leur narration, etc. conduit à une complexification de la personnalité et par conséquent sollicite encore plus le petit travailleur infatigable qui doit mettre de l’ordre dans tout ça : le Je, le sujet. Et il ne faut pas croire que cela se construit sur du vent parce que sur Internet. Pas du tout, parce qu’en face, il y a aussi d’autres sujets, d’autres je à la recherche d’eux mêmes et qui ont envie de se construire dans la relation aux autres. Encore une fois, tout ceci est vraiment révélateur d’un immense besoin de lien, d’écoute et d’échange que la vie « réelle » ne comble pas.

Laurent Gloagen : Pourquoi j'ai repris (après le blogblues) ? Parce que je n'avais plus personne avec qui partager. Comme quand on va à une exposition ou qu'on regarde une émission de télévision et qu'on a envie d'en discuter. Le blog est devenu l'animateur de mon réseau social et a profondément bouleversé ma vie car je ne fréquente presque plus que des blogueurs. Ca m'a ouvert sur le monde. On est souvent prisonnier du milieu social d'où l'on vient, du milieu culturel ou professionnel où l'on vit. Avec cette pratique, on est en contact avec des gens de 18 ans ou de 77 ans. Je n'aurais jamais rencontré d'avocats à moins d'être justiciable. Les gens que j'ai rencontré m'ont transformé, m'ont fait évoluer. Ils m'ont transformé socialement, sociologiquement et ont transformé ma vie au quotidien.

Dominique Cardon : J'ai trouvé passionnant les deux témoignages. Mais je trouve qu'il y a une impudeur des riches et des pauvres. Ici, il y a une impudeur de riches, qui prend des chemins et des codes de gens réfléchis, dans l'air du temps des avant-gardes... Il y a une autre impudeur sur l'internet, mais est-ce la même ? C'est la photo de gamins ivres sur MySpace, ce sont les démonstrations de soi personnelles et qu'on juge souvent vulgaires. Il y a une frontière compliquée entre le vulgaire et les impudeurs classieuses. Alors qu'il y a quelque chose de commun entre les deux. La frontière de l'exposition de soi bouge, mais la tension culturelle reste.

Une personne : J'ai l'impression qu'il y a un côté "ré-engineering" du moi dans tout cela. On expose sa pudeur et des évènements de soi. Un système qui permet de lever des limitations, un parcours, un cheminement, un endroit où l'on tente des expériences. Mais il faut qu'on apprenne à gérer un processus d'échange.

Charles Nepote : Vous sentez-vous « meilleurs » ? Vous sentez-vous d'avoir progressé ?

Sylvie Le Bars : Non. Je ne me sens pas plus forte, ni plus grande. Transformée, si quand j'essaye un outil je me demande comment en parler, en étant par avance dans la transmission. En réfléchissant plus, en acquérant de la pédagogie. Cela force à une rigueur intellectuelle, probablement.

Jauréguiberry : Je travaille sur le sujet de l'ingéniérie de soi depuis quelques années. Je suis toujours étonné de la facilité dont les gens se mettent en scène sur leurs petits sites, souvent visités par très peu de personnes. Ce qu’elles cherchent c’est à capter l’attention des autres. Le feedback est fondamental. Une fois la notoriété acquise, les blogueurs se moquent du nombre de visites, préférant la qualité des réactions. En travaillant avec des internautes, au-delà du paraître, de ce qu'ils donnent à voir, ce qui m'a frappé, c'est une volonté d'être et de partager ce qu'ils étaient en train de faire. Cela crée de nouveaux univers dans leur vie, en dehors des univers contraints. Si l'on réfléchit à ces nouvelles facettes, à ces nouveaux soi que l'on construit, il y a à la fin une complexité plus grande de la personnalité, mais aussi une richesse plus grande. Comme si la vie était plus riche. Le sujet est réalimenté par ces nouvelles facettes de soi qui ont trouvé écho chez d’autres personnes jouant peut-être de leur côté d’autres facettes de ce qu’elles sont. Et c'est souvent très positif. Le virtuel c'est aussi ce qu'on imagine, une création, ce qu’on projette. Ce n’est pas seulement « ce qui n’est pas réel ». Le danger, évidemment, c’est de ne rencontrer aucun écho, de ne pas rencontrer d'autres sujets qui répondent.

Serge Proulx : Sylvie a montré que cette aventure avait été très positive.

Sylvie : ça a changé ma vie, mais pas moi. J'ai pas les mêmes amis, pas le même boulot depuis ces expériences.

Serge Proulx : Il y a quelques années, j'ai fait un travail sur la manière dont les philosophes et les sociologues utilisent le virtuel pour penser le social. Ils définissent le virtuel pour décrire le non-réel, mais aussi son symétrique, en définissant le virtuel comme le lieu idéal, là où l'on peut réaliser ce qu'on n'arrive pas à réaliser dans le quotidien. Sans compter l'hybridation qui donne une palette encore plus vaste à ces deux aspects.

Ces deux témoignages m'ont fait penser à Ecologica, le livre d'André Gorz, où il fait un bilan de son cheminement. Selon lui, l'idée majeure de sa trajectoire, c'est l'idée qu'on naît « sujet » et assez rapidement, avec la socialisation, on est trahit par le social (en référence à son premier ouvrage, la Trahison). Vos témoignages montrent qu'on peut aller contre la trahison.

Albertine Meunier, en tant qu'artiste a réalisé MyGoogleSearchHistory où elle publie toutes les recherches qu'elle fait sur internet. Un inventaire de ses recherches scénarisé. Cela révèle une facette de soi. L'identité artistique sert de filtre à la réalité, explique-t-elle. C'est un outil d'observation de Google pour se confronter à la façon dont on est regardé.

Montrer ses logs est parfois plus impudique que montrer ses fesses, réplique Laurent Gloagen. Il y a des aspects de ma vie dont je ne parle pas et ne parlerait pas !

Jauréguiberry : Si on n'avait que des réactions positives qui nous confortent dans nos fantasmes, alors oui, ça serait un jeu dangereux, car ce serait un espace coton, miroir de nos propres fantasmes. Les réactions négatives nous heurtent à la réalité et nous permettent de nous construire dans notre réalité de sujet.

Une personne : pour chercher des gens qui ont plus une expérience négative, il faut chercher des gens qui ont une moindre expérience, une moindre connaissance des outils.

Pour Serge Proulx, le mot clef, c'est la complexité. Internet est un dispositif d'espionnage. Google est une formidable machine à accumuler des données personnelles. Mais la réalité est complexe, est faite d'hybridation. Internet c'est à la fois le contrôle et la création.

Dominique Cardon : un sociologue Hollandais parlait du "contrôle du décontrôle". Il y a des compétences sociales et culturelles particulières pour contrôler et décontrôler dans des genres multiples. Je ne suis pas sûr qu'on puisse aussi facilement parler d'un "décontrolage contrôlé". Les transformations de soi viennent des manières diverses et brutales de se montrer d'une manière impudique. Quand on regarde MySpace on a une vision différente de ces espaces d'exposition de soit.

Je(u) de soi : se mettre en scène dans le numérique

Pourquoi se met-on en scène sur la toile ? Jusqu'où se dévoile-t-on en ligne ? Quelles opportunités le numérique offre t-il pour gérer activement et simultanément les manifestations identitaires ? Comment s'expose-t-on sur l'internet ? Comment explore-t-on l'intimité, comment montre-t-on de soi ?

A travers le regard de deux individus, les animateurs d'identités actives ont décidé de montrer, à travers deux parcours, volontairement différents, celui de Laurent Gloagen et Sylvie Le Bars, comment se dévoilent les identités en ligne.

Sylvie le Bars, Arkandis

Consultante indépendante depuis 5 ans, Sylvie Le Bars s'intéresse particulièrement à l'identité numérique et la mémoire individuelle, vient évoquer ses pratiques.

Nous construisons notre identité numérique à partir des traces qu'on laisse, à partir de nos usages sur les plateformes web 2.0 qu'on utilise.

Les enjeux de notre identité sur l'internet jouent avec notre liberté, avec nos réseaux sociaux d'amis, avec nos aspects professionnels. Pour ma part, dit-elle, je me met en avant sur l'internet pour des raisons professionnelles. Ce n'était pas évident d'ouvrir ce blog il y a 3 ans, car il n'est pas évident de se mettre en avant, même professionnellement. Mais ce moyen de communication, surtout pour un travailleur indépendant, permet de mettre en valeur ses connaissances et de les partager (donc de les montrer). Enfin, l'identité sur l'internet joue aussi sur nos passions, permettant d'entrer en réseau avec d'autres personnes, d'enrichir nos passions par l'interaction avec celles des autres que l'on partage.

Dans la gestion des traces qu'on laisse sur l'internet, il y a les traces volontaires et involontaires. Dans mes publications volontaires, je n'ai pas de pratiques originales : je blogue (+ plusieurs tumblr). Je signe ce que je fais de mon nom, mais duquel : Sylvie Le Bars ou Arkandis ? Mon identité personnelle ou mon identité professionnelle ? Cela dépend souvent de la visibilité que je veux donner à mes traces. J'ai un Ziki, un agrégateur d'identité qui permet de voir ce tout ce que je fais. J'ai un autre blog très personnel où je me dévoile encore plus sur mes passions. J'en ai eu un où j'étais totalement anonyme, car dévoiler ses passions était mettre trop en avant son identité. Au fur et à mesure des mes publications, en se rendant compte de l'attitude des autres, de leur regard bienveillant, je suis passé à un blog personnel sous mon nom. J'utilise de nombreux supports : Facebook, FlickR. Les photos nous dévoilent beaucoup. On publie spécifiquement pour ce support. Publier ses photos de ses dernières vacances donnent une visibilité de son existence réelle sur l'internet. Publier mes photos personnelles a été une démarche difficile. J'ai un profil sur Linked-In, trace professionnelle. Entreprise 2.0 : un digg like où je contribue pour faire un outil de recherche social. Autant d'outils où l'on voit que se confondent un peu 2 aspects, professionnels et personnels.

Dans les démarches volontaires, il y a aussi le micro-bloging, de type Twitter, dans un premier tant fermé, puis que j'ai ouvert. La gestion de notre identité sur l'internet évolue selon les pratiques que l'on a, et il y a 6 mois, j'ai ouvert mon Twitter pour créer du lien social avec mes amis. Je l'utilise pour signaler mes activités sur la vraie vie, dans le but d'entretenir des liens chauds, intimes, avec des amis qui me suivent. Des messages personnels et assez individuels. Dans les aspects volontaires, j'ai publié sur LibraryThing, le catalogue de ma bibliothèque professionnelle sous le pseudo d'angegabriel, que j'aimerais bien d'ailleurs changer sous mon propre nom. Un pseudo que je diffuse volontairement. Pourquoi utiliser ce pseudo ? Dans un premier temps, pour moi, publier la liste de ses livres, c'est rentrer dans un intime très fort. J'ai choisi de ne publier que des livres professionnels, dans le but de mieux gérer celle-ci, mais jamais je n'aurais voulu mettre les romans que je lis. Récemment, sur Babelio, j'ai commencé à rentrer ma bibliothèque personnelle sous ma vraie identité.
Pour moi, il y a une démarche d'évolution de révélation de notre identité, au fur et à mesure qu'on se rend compte que cela nous apporte plus que cela ne nous gène.
J'ai récemment utilisé Slifeshare qui envoit, à la manière de GoogleHistory toutes les actions que l'on, tous les sites que l'on consulte, qui donne de la visibilité à tout ce qu'on fait sur le web (ce n'est pas indexé par Google). Je n'ai pas poursuivit cette expérience, mais qu'est-ce que cela signifie de rendre visible tous les sites que l'on visite sur l'internet ?

Il y a aussi toutes les traces involontaires. Tous les sites gardent des traces de nos navigations et les utilisent potentiellement pour cibler leurs publicités et autre. C'est quelque chose d'angoissant, car on ne le maîtrise pas. Savoir que les sites conservent des informations, et construisent votre identité à partir des sites auxquels vous accédez est assez troublant.

Un autre aspect de mon identité numérique qui me semble important, est la mémoire. Depuis longtemps, j'ai une approche personnelle de la mémoire, mes outils me servent à garder la mémoire de mes activités dans la vie réelle. Je n'ai pas voulu utiliser un journal intime, ni l'écrit, car souvent, quand on le consulte rétrospectivement, c'est difficile à assumer. On est dans l'émotion de l'instant. Comment garder une trace de notre mémoire qui permette de se remémorer des souvenirs sans passer par l'écrit ? On réinterprète constamment nos souvenirs pour les réadapter et être en cohérence avec ce qu'on est devenu. Avant qu'il y ait ces outils en ligne, j'ai utilisé de nombreux dispositifs. Des bocaux dans lesquels je met des choses, des morceaux de roches en souvenirs de vacances, des fleurs, des petits objets qui me rappellent des souvenirs importants. J'ai mis en place des outils de remémoration, des cahiers dans lesquels je colle des traces de la vie courante : des lettres, des cartes postales, des billets d'avions, des dessins d'enfants... Lorsque je les ouvre, trop rarement (ce qui me dit que ce n'est pas un bon système), cela me rappelle des choses. C'est quelque chose que je continue encore, qui m'accompagne.

Avec le web 2.0, j'ai pensé que j'allais pouvoir le faire avec des lifelog. J'en ai ouvert un où j'écris des éléments de ma vie, sans texte, mais uniquement en photos. Un lifelog qui remonte jusqu'en 1924 avec la photo de mariage de mes grands parents. Sur ce lifelog, j'ai choisi de publier que des photos où je suis présente, mais de ne pas mettre des photos d'autres personnes, pour ne pas exposer d'autres personnes à travers ma démarche, pour respecter leur intimité.

Ma conclusion de cette pratique d'exposition personnelle, explique Sylvie, c'est « et soudain un inconnu vous offre des fleurs ». Quand on se dévoile sur l'internet, celui qui vous lie, qui vous lit s'exprime souvent quand votre propos résonne avec sa propre expérience. Et cela vous permet de le rencontrer, de partager quelque chose avec lui. Gérer son identité sur l'internet a éloigné mes craintes, fait tomber les verrous. Pour moi, m'exposer, c'est magique.

Questions
Au début, mon approche était très professionnelle, mais le positif des échanges fait passer au mode personnel. Mon blog m'a permis de montrer mon expérience en matière de gestion des connaissances. Cela m'a permis de rebondir professionnellement, de rencontrer des gens, d'évoluer professionnellement. Cette exposition a impacté ma vie quotidienne.

L'effort de notoriété, de référencement se porte d'abord sur le blog. Mais j'ai aussi envie de gérer ma mémoire personnelle. Dans ma démarche de gestion des connaissances dans l'entreprise, j'explique que celle-ci n'a de sens que si les gens y trouvent un intérêt pour eux-mêmes. J'y trouve une gratification personnelle. Je le fais pour moi.

Les dispositifs matériels ne sont destinés qu'à moi. Ce n'est pas de la collection compulsive, mais on ne vit pas que dans la virtualité. La photo ou le scan permettent de passer du virtuel au matériel. Mais l'immatériel est un moyen de rentrer en contact matériel avec les autres. Je rencontre beaucoup plus de personnes de cette manière là.

Reste que l'économie de l'attention est dure à gérer. Le média permet-il de faire des économies d'attention dans le réel ? Certainement, les échanges virtuels permettent de créer de l'intime entre les personnes, conclut Sylvie.

La non-cohérence de ce qu'on publie, fait que les gens viennent vers moi avec ce qu'ils ont vu, partiellement, sur des aspects particuliers de ce que j'expose. Mais je ne suis pas très attentive à bien gérer les passerelles entre mes différentes identités. Il est assez difficile de se montrer sous un jour personnel ou professionnel.

Dans ce plaisir de publicité, dans quelle mesure les outils ont transformé ce désir ? , demande Serge Proulx. Incontestablement, les outils ont été un catalyseur, alors que je suis plutôt quelqu'un de discret, termine Sylvie Le Bars.


Laurent Gloagen, Embruns.net
On ne présente plus le capitaine, baron de la blogosphère française. Sur Embruns.net, ce blog hétéroclite, où les commentaires font tout le sel, son animateur est devenu une figure de prou de la provocation, de l'ambiguité, de la polémique pour beaucoup, mais avec un vrai regard sur le monde et pas seulement sur les nouvelles technologies. Laurent Gloagen, depuis 2002, fait entendre sa voix, dévoile sa personnalité, n'hésite pas à se mettre à nu, pas seulement physiquement, mais aussi et surtout émotionnellement. Ses avis, ses réactions, ces faits ce qu'il pointe, ses centres d'intérêts montrent un vrai talent de la chronique, un regard goguenard sur le flux de nos émotions. Comment gère-t-il sa notoriété blogosphérique ? Comment vit-il son jeu sur la pudeur et l'impudeur ? Voyage de liens en liens dans l'intimité d'un blogueur.

Laurent explique qu'il est entré en contact avec le web avec les pages personnelles. Son premier site s'appelait le Monde de Laurent, né vers 1996. Il fallait savoir programmer, il n'y avait pas d'éditeurs visuels, il fallait beaucoup bricoler, uploader sur un serveur, explique-t-il. Mais c'était pour moi être acteur sur l'internet, avoir sa maison, son home sweet home. Le site était noir à cause du deuil que j'avais de mon compagnon et de ses mots, ses poémes que je ne voulais pas confiner au silence, mais donner à lire, au-delà du livre que j'ai publié. Je voulais partager une parole qui n'était pas la mienne. Sur ce premier site, il y avait des galeries de photos sur la mort. Et quelques bribes sur moi.

Ce site a été très gratifiant. Il m'a apporté beaucoup de chaleur humaine, d'échange avec des gens qui ont eu des parcours similaires.

La suite logique a été d'entreprendre sur le blog, fin 2002. Le blog est principalement apparu vers 2000 et en 2002 en France. L'avantage était d'avoir un CMS pour éditer plus facilement et d'éviter l'investissement technique.

Je me suis beaucoup dévoilé en ligne. Sur mon blog, il y a plus de 6000 entrées différentes depuis 5 ans. Je n'ai sélectionné que les exemples où je me dévoile, il ne faut pas que cela me résume non plus. Les impudeurs de Laurent sont minoritaires rappelle Charles Nepote, mais elles sont régulières. Mon blog parle beaucoup d'actualité et se divise entre des papiers plus travaillés, et un link blog, un espace de flux continu, parfois racoleur, mais intéressants au moins par les commentaires qu'il génère. J'ai un nuage de tag depuis un an et demi qui montre que la politique et la technologie sont les thématiques dominante d'Embruns.net.

Mon Premier billet décembre 2002, montre que je n'avais pas idée de ce qu'il va devenir.

Souvent on réagit à l'information. Les chaînes virales, les memes, sont une des premières manières de s'exposer, permettant de tisser des contacts avec d'autres blogueurs en répondant à leur appel. L'une des première chaine à laquelle j'ai répondu, c'était une qui appelait à montrer son environnement de travail. Des chaines qui montrent des photos de soi, des déclarations d'amour... On publie sur son blog une lettre pour un destinataire unique.

Mon blog est très textuel, ce qui fait qu'il n'est pas très spectaculaire, s'excuse Laurent en nous montrant des pages de son site. Il évoque la publication de vieux textes d'adolescence, explique comment on construit des pages à propos, pour dire d'où l'on blogue, ses passions, ce qu'on fait, ce qu'on est, ce qu'on mange, ce qu'on n'aime pas. La page à propos est souvent très utile pour dire qui est l'émetteur pour les utilisateurs occasionnels, pour ceux qui arrivent par un moteur, par un texte... En 2003, sont arrivés les diaristes, ceux qui publiaient leurs journal intime sur l'internet via l'outil blog. Utiliser le CMS non pas pour proposer des liens... J'ai appelé ça l'invasion des diaréistes. Pour moi, à l'époque c'était un détournement de l'outil blog, mais c'est un avis sur lequel j'ai évolué. En réaction, j'ai créé le rapport de gendarmerie, bloguant, minute par minute tout ce que je faisais. Un rapport très ludique, car les commentateurs me répondait dans le même style.

J'ai souvent tendance à faire des choses un peu provocantes, un peu à froid. J'ai essayé de me créer une seconde identité, le capitaine Bonhomme, pour montrer qu'il y avait besoin de recul. J'ai vite abandonné cela, mais c'est pourquoi beaucoup m'appellent le capitaine.

Publication de mes photomatons, de ma tête dans le scanner à plat. L'ambiance était guillerette, les commentaires plutôt drôle. J'ai donc mis mon cul en ligne. Les gens ont été surpris. J'avais déjà été provocateur, j'étais déjà un peu connu. Y'a-t-il de l'impudeur ? Qu'est-ce que je dévoile de moi ? Pour moi, l'impudeur ce n'est pas se montrer nu ou parler de sexualité ? On dévoile beaucoup plus autrement. J'ai eu un repentir. J'ai flouté la photo, car on voyait mes couilles. Je n'ai pas de multiples identités comme Sylvie. Je n'ai pas de dispersion. Je blogue sous mon nom propre. Je suis lu par des lecteurs, ma famille, des clients, des collègues de bureaux... Je me mets en jeu sans paravent.

C'est ça mon blog. Un coup mon cul, un coup un truc sur le droit à mourir dans la dignité.

Exemple de blogoblues. A quoi bon, à quoi ça sert. C'est assez courant dans la blogosphère. On rencontre des râleurs professionnels, des gens qui ne vous aiment pas. Il n'est pas toujours facile d'affronter le regard de l'autre, qui n'est pas toujours bienveillant. Plus votre communauté s'élargit, plus vous rencontrez des gens malveillants surtout si vous parlez de choses un peu provocatrices. Annonce d'arrêt définitif. Grosses réactions. Mais cela n'a duré que 2 semaines. Et puis j'ai ressenti un manque. On se sent privé de sa voix. On a l'angoisse de se retrouver seul. Ca a été mon seul arrêt.

En 2004, dix ans après cette expérience de deuil, juste avant noël, je me paye ma déprime. Le 3 décembre, je publie un billet de douleur. (J'ai mal). J'écris un cri de douleur. Je vis mon mal être en direct. Là, on rentre dans l'intime. Avec des gens qui m'ont suivit toute la nuit.

J'ai joué avec mon image. Demain j'enlève le bas. Les gens ont cru que je n'allais pas le faire. Mais je l'ai fait. Et beaucoup de lecteurs ont focalisés sur le détail de la prise téléphonique anormalement haute. Un jeu qui a donné lieu à des parodies nombreuses.

J'ai beaucoup joué avec mon image, je l'ai scénarisée, je l'ai truquée.

En 2005, le miroir qu'il vous tend :
"S’il y a parfois un problème avec le blogue, c’est le miroir qu’il vous tend. C’est vous, sans être vous. C’est une agrégation de facettes de votre personne, sans toutefois la résumer. Nul ne peut se targuer de me connaître en lisant mon blogue. C’est moi, sans être moi. Il n’y a cependant pas de fausseté, ce n’est pas un autre moi. Et c’est pourtant une représentation du moi dans laquelle j’ai du mal à m’identifier. Tout cela est bien étrange.

Je crois parfois qu’il y a même une certaine réflexivité, et que votre blogue et son lectorat vous façonnent. Votre blogue joue un rôle pro-actif dans votre construction intime. C’est une pensée un peu effrayante. Parce que cette activité, a priori anodine, entre de plein pied dans votre vie, en est une partie constituante, et les interactions qu’elle engendre agissent indéniablement sur votre personne. Ce n’est pas une activité solipsiste, ce n’est pas un journal intime, c’est une confrontation quotidienne avec l’extérieur. Non, vraiment, cela n’a rien d’anodin."


Encore des chaines. Le contenu de son frigo. Que révèle-t-on de soi en photographiant le contenu de son frigo, mais en même temps, il y a une mise en scène, on soigne l'image de son frigo. 5 choses sur moi. Encore une chaine ou j'ai révélé des choses très intimes, pour certaines douloureuses. C'est un billet suspendu. Des lecteurs m'ont dit que j'allais trop loin, que je me mettais trop en danger, que je dévoilais trop de moi des choses qui pouvaient se retourner contre moi. Aujourd'hui, mes lecteurs me rappellent qu'il y a des choses que je ne peux plus faire du fait du succès, de l'audience. Je ne peux plus aller aussi loin qu'avant car j'ai trop de spectateurs. Si je fais des conneries, les médias généralistes peuvent les reprendre.

Le Monde, décrète en 2006, que je suis un des 15 leaders d'opinion sur la toile. Comme quoi, montrer son cul n'est pas un handicap insurmontable, au contraire.

L'intime, j'étais trop gros. J'ai perdu 10 kilos. On livre du physiologique. C'est une épreuve psychologique également.

Publier les photos de son mariage
. Publier mes dernières volontés, car mon tiers de confiance c'est mon blog, mes lecteurs.

Je livre parfois mon intimité, mais certainement un peu moins qu'avant.

Questions
Pour suivre le blog, il faut avoir été là au moment où c'était. Je suis content que ce soit enterré dans l'internet. Sur internet on passe vite à autre chose. Les facettes plus intimes créent une relation de bienveillance amicale avec les lecteurs. On ne battit pas la même relation avec les lecteurs. On m'apprécie car il y a tout sur mon blog, du futile, des discussions sérieuses... Ce flux commun créé parfois des coq-à-l'âne involontaires, mais qui participent à la richesse du média.