lundi 19 mai 2008

Développement territorial et perspective numérique : l'exemple de la Manche

Notes issues des Rencontres "Prospective numérique et nouveau modèle de société dans la manche", organisées par le Conseil général de la Manche au château de Cerisy la Salle, les 16 et 17 mai 2008.

Pascal Buléon, géographe à l’Université de Caen, dans l’unité de recherches "Espaces et Sociétés", a proposé une mise en perspective passionnante des possibilités du numérique au regard des enjeux global d'un territoire - en l'occurrence la Manche. A lire, soit parce qu'on s'intéresse à ce territoire, soit comme un exercice de mise en perspective. (note : ce qui suit n'est pas l'article de Pascal Buléon, mais mes notes brutes à peine retraitées a posteriori. Les erreurs et omissions sont donc miennes - DK)

La perspective numérique est totalement tissée dans l'évolution des territoires. La rencontre avec le numérique procède de tendances lourdes des territoires, en même temps que de choix.

Le département de la Manche est dans un faisceau de relations pluriséculaires mais également constamment réinterprétées.

Relation 1- La proximité avec le sud de l'Angleterre

Dans les 30 dernières années, l'horizon mental de la Manche occultait largement la proximité avec un Sud anglais peuplé de dizaines de millions d'habitants, qui se sent proche de la Normandie, avec des liens qui ne peuvent que croître dans les décennies à venir.

La relation est historique, faite de guerres mais aussi de relations artistiques, économiques, touristiques. Le développement des car ferries dans les années 1970 a revitalisé ce lien. L'intérêt britannique ne se relâche pas, nourri par la dissymétrie des densités de population.

Relation 2- La mer

La Manche est la mer la plus fréquentée du globe et l'un des cordons ombilicaux de l'Europe avec le monde.

Dans l'imaginaire anglais, la mer de la Manche s'appelle "the pond", la mare. C'est une sorte de bien communal. Elle est bien devenue cela, par l'entassement de transports, de flux, foncier, d'activités… sur l'eau et sur le littoral – qui crée un lien très fort, engendre un défi de gestion de cet espace restreint et sous contrainte.

La Manche est aussi l'un des bassins de plaisance les plus importants au monde. Des dizaines de milliers de bateaux y circulent.

Relation 3- La proximité de Paris

Cette proximité est connue et vécue par beaucoup d'habitants normands – et parisiens. Elle est séculaire : la région normande est largement structurée par cette proximité et les flux associés.
Les interrelations sont très fortes, et depuis longtemps. Les jeunes y vont pour suivre des études, puis pour trouver un emploi, ce qui pourrait être une opportunité et peut devenir une perte. Mais la particularité contemporaine est celle de la forme des retours, en commençant par celle des plus de 60 ans – qu'on ne peut plus considérer comme des "retraités", improductifs, inactifs (même si ces populations vont aussi atteindre ici le grand âge). Sur le littoral en particulier, les migrations des plus de 60 ans dépassent la croissance démographique endogène de cette classe d'âge.

C'est une des régions de France où la part des résidences secondaires est la plus importante. Mais ces formes de migration-là ont profondément changé : on ne vient plus seulement pour l'été, mais pour des week-ends élargis, des petites vacances, des périodes de "retraite", etc.
Enfin on assiste à des migrations d'actifs qui ont goûté à cet espace et qui finissent par déplacer leur résidence, quitte à continuer à travailler en région parisienne, éventuellement sur des périodes plus courtes et plus concentrées. Le numérique est dans une large mesure une condition de faisabilité de ces migrations-là.

Ces actifs sont à rapprocher de ceux qui font aussi le choix, soit de venir, soit de rester, pour vivre et travailler dans la Manche, parce que les conditions d'exercice de leur activité ont changé. Ils parviennent désormais à concilier leur choix de qualité de vie et les possibilités d'un développement professionnel, là encore grâce aux réseaux : parce que ce n'est plus mal porté de ne pas être toujours sur place.

Ces actifs ont évidemment besoin de haut débit, ainsi que de couches de services qui ont elles-mêmes besoin du haut débit.

Migrations multiples et convergentes

Il va donc falloir s'habituer à marier toutes ces formes de migration. La France est d'une manière générale une terre de migration de retraités, notamment britanniques. Et la Normandie est une terre de migration de retraités français. Ces nouveaux résidents ont déjà des habitudes, des usages ; ils auront des besoins auxquels il faudra répondre, et qui seront aussi ceux des "natifs" : ces migrants tirent tout le territoire vers le haut. A leur tour, ces besoins supposent des services locaux, dans des domaines très larges – services à la personne, santé (en réseaux du fait de la disparition de nombreux établissements de petite taille, CHU, cliniques, laboratoires…), et bien d'autres choses.

Tout cela suppose à la fois du très haut débit et de la connectivité nomade. C'est là que peuvent se féconder des tendances fortes d'évolution du territoire, indépendantes du numérique, et cette autre tendance forte qui est celle de la "société de l'information".

Une des caractéristiques de cette région est celle d'un pavage du territoire par un grand nombre de petites villes et de bourgs, contrairement par exemple à Midi-Pyrénées où tout est absorbé par Toulouse. C'est un tissu puissant, mais on ne peut pas s'en contenter. Il faut penser son remodelage permanent d'une manière positive : la nature des emplois change, par exemple (la Manche a par exemple perdu les emplois dans l'habillement, l'électronique, la petite mécanique…).

Enfin, les migrations sont la source d'une économie résidentielle qui est une source essentielle de développement.

Une insertion mondiale à développer

L'espace Manche est aussi inséré dans un espace mondial. C'est l'entrée du "chenal" qui va jusqu'à la Hanse. Il y a là un potentiel largement sous-exploité : le trafic maritime, qui va continuer de croître, ne fait que passer.

La Manche est engorgée. Or il y a une place à prendre pour les ports normands en réseau, dont Cherbourg malgré sa petite taille. Les bateaux aujourd'hui ne s'arrêtent jamais, le temps est important pour eux. La Normandie est la première terre rencontrée en venant du Sud ou de l'Ouest, et Cherbourg est le premier de Normandie ; en mer de Chine des prestataires de services vont vers les bateaux avant qu'ils n'accostent, pas en Europe. Il y a donc des opportunités à exploiter.

Pour cela il est essentiel d'avoir les services de communication électronique les plus avancés, et les compétences les plus avancées. Le commerce international n'est pas principalement un problème de quais, mais d'intermédiation, de finance, etc.

Extrait intéressant issu de la discussion

On décroche : vis-à-vis de l'Angleterre à cause d'Eurotunnel, vis-à-vis de Paris à cause du TGV. Se focaliser sur l'économie résidentielle est possible, mais c'est un scénario un peu subi. Ne peut-on imaginer un scénario plus actif ? Par exemple, au moins, "retraiter" le combustible intellectuel inutilisé des sexagénaires qui viennent s'installer sur le territoire ?


Quelques retours d'usages des EPN dans la Manche

Notes issues des Rencontres "Prospective numérique et nouveau modèle de société dans la manche", organisées par le Conseil général de la Manche au château de Cerisy la Salle, les 16 et 17 mai 2008.

Le premier jour des rencontres, un atelier réunissait les animateurs d'espaces publics du département. Frédéric Maillard, directeur des projets "usages" de Manche numérique, en a extrait quelques enseignements intéressants.

La Manche compte environ 50 espaces publics numériques. Le département espère couvrir l'intégralité de son territoire.

La première application qu'on apprend est la messagerie instantanée. Mais désormais, on vient après avoir acheté un ordinateur (et souvent avec son ordinateur), et on veut tout apprendre. On s'inscrit à toutes les formations, et on demande en plus une forme d'accompagnement individuel – ce qui suscite des questions sur le risque de concurrence avec les activités marchandes de services à la personne, que l'on cherche par ailleurs à développer. Ce qui évolue en particulier, c'est l'utilisation d'applications grâce auxquelles on produit (y compris la photo, la création d'un diaporama, etc.)

Qui vient ? D'abord deux populations-types : les jeunes dans les villes, les retraités dans les campagnes ; mais également des femmes qui à la maison n'ont pas accès à l'ordinateur, pris par les enfants et le mari...

la réflexion sur l'avenir de ces espaces porte désormais sur le rôle pérenne qu'ils peuvent jouer dans un territoire, notamment comme lieu de rencontre, d'élaboration de projets collectifs ou de médiation, par exemple vis-à-vis de l'administration électronique.

Wikimanche souffle sa première bougie

Notes issues des Rencontres "Prospective numérique et nouveau modèle de société dans la manche", organisées par le Conseil général de la Manche au château de Cerisy la Salle, les 16 et 17 mai 2008.

Wikimanche vient de souffler sa première bougie. C'est selon son promoteur Philippe le Grand "le Wikipedia de la Manche", géré par une association qui réunit le Conseil général, des médias, et des citoyens qui participent activement. Lors de sa création, il visait à collecter et partager la mémoire locale pour créer un "patrimoine numérique" manchois – et via l'usage du wiki, de créer du lien et favoriser le développement de communautés d'intérêt. Les passionnés de généalogie, les cartophiles, etc., s'en sont par exemple très rapidement saisi.

Les thèmes abordés par les 2000 articles sont très divers. Les deux articles les plus consultés, tous deux fondés sur des témoignages, portent sur le STO (service du travail obligatoire) et sur la défense passiveà Granville de 1938 à 1944.

Le site a accueilli 19 000 visites dans les quatre premiers mois de 2008, pour près de 200 000 pages vues. En termes de participation, on compte 23 000 modifications de pages et 430 000 consultations en 2007. Toutes les interventions sur les pages font l'objet d'une modération a priori par 16 modérateurs, tous bénévoles ; leur rôle n'est cependant pas de changer l'information entrée, mais d'éviter des dérives.

En 2008, les objectifs sont de faire connaître Wikimanche, de fidéliser les lecteurs et de développer la participation. Le souhait est que le site devienne d'une part une référence, mais aussi (via par exemple la géolocalisation des données) un support de services, qu'on pourrait emporter sur son mobile. Il pourrait aussi devenir une sorte de réseau social, au moins pour relier les communautés existantes entre elles.

Des démarches sont engagées avec l'Education nationale pour faire produire des articles, par exemple historiques, par des classes.

lundi 12 mai 2008

Merci Martin Lessard !

Martin Lessard (Martin, ta photo te fait plus triste que tu n'es !!)Pour finir cette petite collection de billets sur mon voyage au Québec, un grand merci à Martin Lessard (blog), figure de la blogosphère québecoise, consultant en stratégies web, papa et qui malgré toutes ces choses qui lui font un emploi du temps bien chargé, a tout organisé de mes deux jours à Montréal.

Grâce à lui j'ai pu YULboire un verre avec une belle brochette d'entrepreneurs et de blogueurs, découvrir les belles aventures de Parole Citoyenne et d'Ile sans fil, rencontrer à nouveau la SAT avec laquelle plusieurs projets communs devraient aboutir en 2008, découvrir Hexagram, engager une collaboration entre Vieillissement Design Montréal et notre programme "Plus longue la vie"...

Bref, merci Martin ! Et à bientôt d'un côté ou l'autre du Saint-Laurent !

Web participatif : d'autres billets en ligne

Isabelle Lopez a également blogué en direct (ou presque, pour cause de Wi-Fi superpayant) de la conférence "Web participatif : mutation de la communication ?"

Petite sélection :
Logiciel libre : contribuer ne veut pas dire donner sans attendre
Web 2.0 : Attention à ne pas devenir normatif!
Web 2.0 = Je suis mes relations avec les autres (à propos de mon intervention :-)

Ile sans fil : une autre approche (réussie…) du Wi-Fi communautaire

Alors que la plupart des initiatives communautaires de déploiement d'accès internet par Wi-Fi ont échoué ou semblent en perte de vitesse, Ile sans Fil, dans son berceau montréalais s'apprête à fêter ses 5 ans avec 150 points d'accès actifs, 65 000 utilisateurs et de nombreux projets. Et son modèle essaime dans plusieurs autres villes du Canada.

Selon son président Daniel Drouet, ce succès repose sur un choix initial : considérer la faible portée du Wi-Fi comme un avantage plutôt qu'un inconvénient et par conséquent, ne pas chercher à couvrir intégralement un territoire, pas même un quartier. Pour son initiateur, le sociologue Michael Lenczner (blog), nourri des écrits de Ray Oldenburg sur les "tiers lieux", il s'agissait d'équiper des lieux où les gens aiment déjà se rassembler ou flâner, des cafés d'abord, mais aussi des bibliothèques, des blanchisseries automatiques, des salons de coiffure…

Ce choix simplifie considérablement la mise en œuvre des réseaux, qui s'appuie sur les propriétaires de ces lieux. Ceux-ci doivent payer 100 $ canadiens (64 euros) pour l'équipement de départ, partager leur connexion haut débit et acquitter une cotisation annuelle de 50 $ (32 euros) ; mais, plus important, ils abritent l'antenne Wi-Fi dans leurs locaux et sont motivés à ce qu'elle fonctionne. Les sommes recueillies sont modestes, mais elles couvrent le coût du matériel. En revanche, les interventions humaines sont toutes bénévoles. La communauté Ile sans fil regroupe environ 200 personnes, dont 20 sont actifs et 8 "hyperactifs".

L'accès aux points Ile sans fil est gratuit. La première fois, on s'inscrit à l'aide d'un pseudonyme et d'une adresse e-mail, pour gagner l'accès à tous les hot-spots Ile sans fil de sa ville. Le but n'est pas de savoir qui utilise le réseau, mais de favoriser les communications entre les utilisateurs et le développement de contenus locaux, attachés au "portail captif" de chaque point d'accès.

C'est autour de cette volonté de favoriser l'échange de contenus locaux qu'est né le logiciel (libre) WifiDog, à l'aide duquel se gère le réseau des points d'accès Ile sans fil. WifiDog repose sur un serveur central qui gère l'identification des utilisateurs et les différents portails locaux, et qui supervise le fonctionnement des points d'accès. De nombreux réseaux communautaires sans fil l'utilisent dans le monde, ainsi qu'en France.

Malgré tout, si le modèle de développement d'Ile sans fil est un succès en ce qui concerne l'accès nomade à l'internet, les échanges locaux et communautaires, eux, n'ont pas décollé sur cette plate-forme, reconnaît Daniel Drouet. Les fondateurs ne se découragent pas. Profitant du tout nouveau soutien de la ville de Montréal, qui va leur permettre de financer un plein-temps et demi pour assurer le bon fonctionnement et le déploiement du réseau (un rapport qualité-prix sans équivalent pour une grande ville, à comparer avec le coût du Wi-Fi parcs et jardins de la ville de Paris), ils entendent désormais se consacrer à développer les contenus, les services et les usages "hyperlocaux".

mardi 6 mai 2008

Colloque web participatif : comprendre le web participatif au travers de l'histoire de PHP

Le colloque "Web participatif : mutation de la communication ?" organisé les 6 et 7 mai à Québec par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), fait le point d'une série de recherches sur les dimensions sociales, économiques, politiques, éthiques du web participatif. Internet Actu Live rendra compte de certaines des interventions.

En exploitant les technologies comme "médiateurs", à partir notamment de la théorie de l'"acteur réseau" (Latour), Stéphane Couture, de Université du Québec à Montréal, se propose de "déplier les technologies" et de les étudier dans leur histoire, leurs évolutions, en s'intéressant notamment aux controverses et aux moments de rupture.

Couture part de la définition du Web 2.0 par Tim O'Reilly , comme "modèle de conception". Pour O'Reilly, les langages de scripts sont indispensables comme "glus" (duct tape) d'un modèle de conception formé de briques en constante évolution. PHP fait partie de ces langages.

PHP (Personal Home Page) a été créé en 1995 par Rasmus Lerdorf (Groenland) pour mettre en ligne son CV. Deux ans plus tard il est repris par deux israéliens, puis évolue (en logiciel libre) vers PHP3 (PHP Hypertext Preprocessor) en 1998, géré par la compagnie israélienne Zend technologies mais toujours libre.

PHP peut aujourd'hui comme une infrastructure du web participatif. Environ 20 million de sites web utilise PHP, dont l'interpréteur est installé sur un tiers des serveurs web. Wikipedia, Flickr, Friendster, Skyblog, Facebook, utilisent PHP.

PHP est également, en soi, un univers de "contenus généré par les utilisateurs", en l'occurrence ses scripts. SourceForge compte plus de 12 000 projets écrits en PHP. On trouve des milliers d'applications PHP disponibles dans PHPClasses (avec une navigation qui rappelle beaucoup celle de FlickR), Hotscripts.com, codango.com etc.

Enfin, PHP est un motif pour rassembler des acteurs du web participatif. Par exemple, le mouvement GoPHP5 a été lancé en juillet 2007 pour accélérer la migration vers PHP5 (lancé mi-2004 et "optimisé pour le web 2.0" mais toujours pas installé par 80% des serveurs qui restaient à PHP4). La communauté PHP annonce qu'elle abandonne les mises à jour de PHP4, certains grands groupes tels que Drupal, PHPmyadmin, etc. l'adoptent de manière volontariste, soutenus par 200 grands hébergeurs. Bien évidemment un contre-mouvement "StopPHP5" existe aussi… En 8 mois, la campagne est un succès et PHP5 a bien pris le relais de son prédécesseur.

En conclusion, le web participatif a partie lié avec ses artefacts (logiciels, langages, serveurs…), il n'est pas seulement une affaire de pratiques. Et ces artefacts sont eux-mêmes produits dans des réseaux de relations spatiales et temporelles. On a intérêt à les considérer eux aussi comme des "contenus", et donc à s'intéresser, comme pour les contenus, à leur propriété, leur partage, leur accès.

Colloque web participatif : Le podcasting, média hybride et moyen de diffusion d’une culture participative numérique

Le colloque "Web participatif : mutation de la communication ?" organisé les 6 et 7 mai à Québec par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), fait le point d'une série de recherches sur les dimensions sociales, économiques, politiques, éthiques du web participatif. Internet Actu Live rendra compte de certaines des interventions.

Dans une intervention très vivante, Mélanie Millette (blog), de l'Université du Québec à Montréal, présente le podcasting comme un cas emblématique d'une "mutation de la communication médiatisée dans le contexte du web participatif".

Son travail porte sur le podcasting privé, pas de la baladodiffusion institutionnalisée (téléchargement des émissions d'une radio par exemple). Il s'agit d'un média hybride entre radio, web, fil RSS… que les podcasteurs considèrent comme un moyen de communication, d'expression mais aussi de socialisation (commentaires, liens entre podcasteurs, etc.) Le contenu est sur mesure, sans format contraint. Beaucoup de podcasts sont entre autres des playlists, la démarche de production s'apparente au DJing.

D'où cela vient-il ? D'abord des jeunes usagers. Plusieurs études ont observé où partaient les auditeurs qui quittaient les radios classiques, et elles constatent que ce sont d'abord les jeunes qui ne veulent plus de contenus formatés et de la publicité omniprésente ("ipod génération", OFCOM 2004 ; "wirefree génération", Berry 2006 ; "digi-life génération", Gallie & Robson 2005). Leurs mots-clés sont mobilité (on télécharge et on part avec le contenu), temporalité (à mon heure à moi) et spécificité (malgré la globalisation, on est tous différents).

Il y a donc bien émergence d'une sorte de culture convergente (H. Jenkins – la convergence n'est pas à trouver dans la technique mais dans le cerveau des individus et dans leurs interactions) certes multifacettes, mais cependant faite de valeurs et de symboles communs. Cette culture se cherche des médias. Le podcasting en fait partie, sa dimension vocale (par opposition à l'écrit) y contribue – et par ailleurs il est sans doute moins dépendant des compétences d'écritures, beaucoup plus différenciante socialement. Il a aussi son esthétique, celle du "fait maison" (voire du trash), et ses valeurs, celles de l'authenticité, de la spontanéité, du cool, de l'edgy (Jackass).

C'est une mutation, notamment générationnelle.

A découvrir suite à son intervention : le blogue-vlog-podcast-etc. "Vu d'ici-Seen from here" de MC Turgeon, une référence au Canada et au-delà.

Colloque web participatif : comment les sites d'information accueillent-ils les apports "amateurs" ?

Le colloque "Web participatif : mutation de la communication ?" organisé les 6 et 7 mai à Québec par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), fait le point d'une série de recherches sur les dimensions sociales, économiques, politiques, éthiques du web participatif. Internet Actu Live rendra compte de certaines des interventions.

Nathalie Pignard-Cheynel, de l'Université Stendhal Grenoble 3, présentait un travail réalisé avec Arnaud Noblet intitulé "L’encadrement des contributions « amateurs » au sein des sites d’information : entre impératifs participatifs et exigences journalistiques".

L'étude a observé comment les interventions amateures étaient encadrées journalistiquement sur cinq sites français : Le Monde, Libération, le Figaro, Rue89, lepost.fr (filiale du Monde).

Elle partait de premiers constats, d'une montée de la participation, mais d'une faible prise en compte par les journalistes. Les sites d'information peuvent donc de moins en moins occulter l'"impératif participatif". Cette dimension se développe de plus en plus, soit en lien avec des titres existants (Le Monde, Libération), soit sur des sites spécialisés.

L'hypothèse de l'étude est que la participation se situe entre deux pôles, où elle est soit juxtaposée aux contenus journalistiques (donc à part), soit intégrée à l'activité journalistique (coproduction, cocréation).

On distingue trois principales formes de participation :
  • Participation-réaction : se situe en aval de la chaine de production, sous forme de commentaires ou forums. C'est la participation la plus fréquente. Sa modération se fait avant tout sur des critères juridiques, et son exploitation éditoriale est presque nulle (la gestion est même souvent externalisée, par exemple auprès de l'entreprise Consiglio)
  • Participation-suggestion : se situe en amont de la chaine, s'incarne davantage dans les chats. Cette forme est peu développée sauf sur les sites pure players.
  • Participation-contribution de contenus à part entière, sous forme de blogs, tribunes et témoignages, qui est de fait plutôt réservée à des "experts".

En ce qui concerne le lien avec l'offre journalistique :
  • Le participatif juxtaposé se trouve surtout sur des sites de médias traditionnels, sous la forme d'un espace de participation assez nettement séparé de l'espace de la rédaction – le look est même souvent différent. L'encadrement journalistique est très limité.
  • Le participatif intégré est la marque de Rue89. Rue89 s'organise autour de la coproduction de contenus, sur le site les auteurs professionnels et amateurs sont présentés de la même manière. Il existe une conférence de rédaction hebdomadaire par chat. La participation est un apport qui vient enrichir la parole journalistique, mais aussi la relégitimer. La participation amateure est également valorisée dans la production journalistique (exemple : "information signalée par…" ; Rue89 ne reçoit pas le fil AFP, "notre fil AFP ce sont les internautes"). Il y a aussi des appels à réaction, mais aussi à rectification.
    Mais l'encadrement journalistique est très fort, en amont (qualité), mais aussi en aval (les journalistes modèrent les commentaires de leurs propres articles et répondent ; ils sélectionnent aussi les meilleurs commentaires dans une rubrique "Vos réactions").
  • Les formules hybrides font émerger deux logiques : le participatif semi-intégré (juxtaposition et intégration sont mêlés au sein du même site principal, ce qui crée des tensions) ou externalisé sur un site dédié qui peut être très expérimental (ex. Le Monde/lepost)

Pour conclure, il faut peut-être redéfinir l'impératif participatif et l'examiner à un autre niveau, économique autant que journalistique. Les logiques journalistiques s'estompent souvent derrière les logiques marketing qui incitent à maximiser le trafic en ouvrant toutes les portes à la participation. Ou bien on eut en arriver à survaloriser la parole de l'internaute, avec des contenus journalistiques dictés par une logique d'audience. Certains articles de Rue89 ont ainsi été modifiés après des premières réactions très négatives. On aurait alors un risque d'audimat de l'écrit, avec un double biais : il interviendrait a priori, et se fonderait sur le seul petit % de ceux qui commentent et participent.

Sur Rue89, 15-20 personnes commentent et écrivent très régulièrement, une centaine assez régulièrement. Avec ceux-là s'établit une relation, aidée par la conférence de rédaction. Le site veut le développer, avec une dimension plus communautaire et de réseaux social. Mais ça reste à la marge. D'autant que parmi les gros contributeurs, une majorité de situe dans l'antichambre du journalisme professionnel (cf; travail d'Emmanuel Parody). Il y a même parfois une professionnalisation des amateurs, qui sont rémunérés (cf. lepost, même si c'est encore neuf en France).

Web participatif : mutation de la communication ? - L'intro

Le colloque "Web participatif : mutation de la communication ?" organisé les 6 et 7 mai à Québec par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), fait le point d'une série de recherches sur les dimensions sociales, économiques, politiques, éthiques du web participatif. Internet Actu Live rendra compte de certaines des interventions.

Intervenant en ouverture du colloque qu'il a co-organisé avec Florence Millerand, Serge Proulx a décrit sa vision du paysage et des enjeux :

Sommes-nous vraiment dans une mutation de la communication ou bien s'agit-il d'un effet de mode qui sera suivi d'un autre ?

Quoi de neuf ?

Ce qu'il y a de novateur c'est :
  • Que les utilisateurs créent et partagent des contenus sur l'internet.
  • Que des plates-formes offrent des outils facilement utilisables pour le faire.
  • Que se forment des coopérations "faibles" entre les utilisateurs qui ne supposent pas d'intentionnalité collective ni d'appartenance communautaire préalable
  • Business model 2.0

Ce développement s'inscrit dans un contexte économique de développement d'un "capitalisme informationnel" :
  • Informatisation, puis "informationnalisation" (Castells)
  • Globalisation des marchés, qui met sous tension une tendance à l'homogénéisation culturelle (appuyée sur quelques pôles urbains connectés aux réseaux globaux) contre des forces d'affirmation identitaires
  • Emergence de nouvelles industries fondées sur la propriété des codes informationnels (Aigrain)
  • Marchés de l'appariement (et rôle pivot de la publicité)

Trames de questionnement
  • Economique : quels modèles d'affaires ? Economie de l'attention et publicité ciblée
  • Droit : propriété intellectuelle contre liberté de l'information
  • Politique : démocratie participative, délibérative, dialogique – ou pseudo-démocratie d'opinion ?
  • Sociaux : appropriation démocratique et nouvelles fractures ; acquisition égalitaire des compétences culturelles, techniques, politiques…
  • Nécessité de penser une éthique de l'information 2.0 pour la "société en réseaux de savoirs partagés" : une information construite à partir du grand nombre
  • Contrôle de la qualité de l'information
  • Statut et autorité de l'expert
  • Responsabilités juridiques et morales liées à la diffusion
  • Choix techniques relatifs à la conception des systèmes sociotechniques (Lessig)

Mutation de la communication ?
  • Le web participatif participe de la saturation informationnelle : hypermédiatisation et surinformation provoquent une surcharge cognitive, voire une désorientation et un sentiment d'insécurité
  • Une emprise progressive des technologies numériques sur la vie privée et publique des citoyens qui participe à la confusion entre sphères privées et publiques
  • Emergence de médias individuels de masse et en même temps, décentralisation des plates-formes vers des formes P2P
  • La culture de l'écran transforme la culture de l'écrit (R. Chartier) : nouvelle oralité de l'écrit (SMS), place de l'image ?...
  • Les internautes sont-ils fatigués de bloguer, se fatiguent-ils des opinions pour demander des débats fondés sur des informations fiables et argumentées en raison ?
  • Nous sommes face à une injonction à la visibilité : ce que l'on montre sur soi l'emporte sur l'être et le faire ; peur du silence ?

Questions pour un colloque
  • Soumis à une logique marketing, ces modes d'usage pourraient-ils au contraire résonner avec de nouvelles formes de prise de parole et d'engagement citoyen
  • Quel rôle attribuer aux communautés numériques dans les formes coopératives, recours à l'intelligence du grand nombre
  • Pourquoi une éthique de l'information 2.0 est-elle nécessaire ?