Notes issues des Rencontres "Prospective numérique et nouveau modèle de société dans la manche", organisées par le Conseil général de la Manche au château de Cerisy la Salle, les 16 et 17 mai 2008.
Pascal Buléon, géographe à l’Université de Caen, dans l’unité de recherches "Espaces et Sociétés", a proposé une mise en perspective passionnante des possibilités du numérique au regard des enjeux global d'un territoire - en l'occurrence la Manche. A lire, soit parce qu'on s'intéresse à ce territoire, soit comme un exercice de mise en perspective. (note : ce qui suit n'est pas l'article de Pascal Buléon, mais mes notes brutes à peine retraitées a posteriori. Les erreurs et omissions sont donc miennes - DK)
La perspective numérique est totalement tissée dans l'évolution des territoires. La rencontre avec le numérique procède de tendances lourdes des territoires, en même temps que de choix.
Le département de la Manche est dans un faisceau de relations pluriséculaires mais également constamment réinterprétées.
Relation 1- La proximité avec le sud de l'Angleterre
Dans les 30 dernières années, l'horizon mental de la Manche occultait largement la proximité avec un Sud anglais peuplé de dizaines de millions d'habitants, qui se sent proche de la Normandie, avec des liens qui ne peuvent que croître dans les décennies à venir.
La relation est historique, faite de guerres mais aussi de relations artistiques, économiques, touristiques. Le développement des car ferries dans les années 1970 a revitalisé ce lien. L'intérêt britannique ne se relâche pas, nourri par la dissymétrie des densités de population.
Relation 2- La mer
La Manche est la mer la plus fréquentée du globe et l'un des cordons ombilicaux de l'Europe avec le monde.
Dans l'imaginaire anglais, la mer de la Manche s'appelle "the pond", la mare. C'est une sorte de bien communal. Elle est bien devenue cela, par l'entassement de transports, de flux, foncier, d'activités… sur l'eau et sur le littoral – qui crée un lien très fort, engendre un défi de gestion de cet espace restreint et sous contrainte.
La Manche est aussi l'un des bassins de plaisance les plus importants au monde. Des dizaines de milliers de bateaux y circulent.
Relation 3- La proximité de Paris
Cette proximité est connue et vécue par beaucoup d'habitants normands – et parisiens. Elle est séculaire : la région normande est largement structurée par cette proximité et les flux associés.
Les interrelations sont très fortes, et depuis longtemps. Les jeunes y vont pour suivre des études, puis pour trouver un emploi, ce qui pourrait être une opportunité et peut devenir une perte. Mais la particularité contemporaine est celle de la forme des retours, en commençant par celle des plus de 60 ans – qu'on ne peut plus considérer comme des "retraités", improductifs, inactifs (même si ces populations vont aussi atteindre ici le grand âge). Sur le littoral en particulier, les migrations des plus de 60 ans dépassent la croissance démographique endogène de cette classe d'âge.
C'est une des régions de France où la part des résidences secondaires est la plus importante. Mais ces formes de migration-là ont profondément changé : on ne vient plus seulement pour l'été, mais pour des week-ends élargis, des petites vacances, des périodes de "retraite", etc.
Enfin on assiste à des migrations d'actifs qui ont goûté à cet espace et qui finissent par déplacer leur résidence, quitte à continuer à travailler en région parisienne, éventuellement sur des périodes plus courtes et plus concentrées. Le numérique est dans une large mesure une condition de faisabilité de ces migrations-là.
Ces actifs sont à rapprocher de ceux qui font aussi le choix, soit de venir, soit de rester, pour vivre et travailler dans la Manche, parce que les conditions d'exercice de leur activité ont changé. Ils parviennent désormais à concilier leur choix de qualité de vie et les possibilités d'un développement professionnel, là encore grâce aux réseaux : parce que ce n'est plus mal porté de ne pas être toujours sur place.
Ces actifs ont évidemment besoin de haut débit, ainsi que de couches de services qui ont elles-mêmes besoin du haut débit.
Migrations multiples et convergentes
Il va donc falloir s'habituer à marier toutes ces formes de migration. La France est d'une manière générale une terre de migration de retraités, notamment britanniques. Et la Normandie est une terre de migration de retraités français. Ces nouveaux résidents ont déjà des habitudes, des usages ; ils auront des besoins auxquels il faudra répondre, et qui seront aussi ceux des "natifs" : ces migrants tirent tout le territoire vers le haut. A leur tour, ces besoins supposent des services locaux, dans des domaines très larges – services à la personne, santé (en réseaux du fait de la disparition de nombreux établissements de petite taille, CHU, cliniques, laboratoires…), et bien d'autres choses.
Tout cela suppose à la fois du très haut débit et de la connectivité nomade. C'est là que peuvent se féconder des tendances fortes d'évolution du territoire, indépendantes du numérique, et cette autre tendance forte qui est celle de la "société de l'information".
Une des caractéristiques de cette région est celle d'un pavage du territoire par un grand nombre de petites villes et de bourgs, contrairement par exemple à Midi-Pyrénées où tout est absorbé par Toulouse. C'est un tissu puissant, mais on ne peut pas s'en contenter. Il faut penser son remodelage permanent d'une manière positive : la nature des emplois change, par exemple (la Manche a par exemple perdu les emplois dans l'habillement, l'électronique, la petite mécanique…).
Enfin, les migrations sont la source d'une économie résidentielle qui est une source essentielle de développement.
Une insertion mondiale à développer
L'espace Manche est aussi inséré dans un espace mondial. C'est l'entrée du "chenal" qui va jusqu'à la Hanse. Il y a là un potentiel largement sous-exploité : le trafic maritime, qui va continuer de croître, ne fait que passer.
La Manche est engorgée. Or il y a une place à prendre pour les ports normands en réseau, dont Cherbourg malgré sa petite taille. Les bateaux aujourd'hui ne s'arrêtent jamais, le temps est important pour eux. La Normandie est la première terre rencontrée en venant du Sud ou de l'Ouest, et Cherbourg est le premier de Normandie ; en mer de Chine des prestataires de services vont vers les bateaux avant qu'ils n'accostent, pas en Europe. Il y a donc des opportunités à exploiter.
Pour cela il est essentiel d'avoir les services de communication électronique les plus avancés, et les compétences les plus avancées. Le commerce international n'est pas principalement un problème de quais, mais d'intermédiation, de finance, etc.
Extrait intéressant issu de la discussion
On décroche : vis-à-vis de l'Angleterre à cause d'Eurotunnel, vis-à-vis de Paris à cause du TGV. Se focaliser sur l'économie résidentielle est possible, mais c'est un scénario un peu subi. Ne peut-on imaginer un scénario plus actif ? Par exemple, au moins, "retraiter" le combustible intellectuel inutilisé des sexagénaires qui viennent s'installer sur le territoire ?
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