vendredi 3 octobre 2008

Dominique Pasquier : Ce que les technologies relationnelles concentrent

En quasi direct des Entretiens du nouveau monde industriel à Beaubourg. Retour sur quelques présentations.

Dominique Pasquier, sociologue, auteur de la Culture des sentiments (sur l’expérience télévisuelle des adolescents) et de Cultures lycéennes, a longtemps travaillé sur les sociabilités juvéniles dans le domaine de la sociologie de la culture.

Chez les jeunes, rappelle-t-elle, la sociabilité est très ressérée en terme d’âge, explique-t-elle. C’est une sociabilité très étendue avec des réseaux très actifs (où les réseaux extra-famililaux sont les plus fournis) qui est liée à la fréquentation de groupes réguliers (ce qui ne se poursuit pas ensuite, au-delà de l’adolescence, à tout le moins pas d’une façon aussi marquée). Il y a un mélange entre liens forts et liens faibles à l’adolescence : avec des caractéristiques d’engagements très différentes selon le sexe. Les amitiés féminines favorisent le lien fort, l’exploration de soi, avec l’image, réelle voire conformiste, de "la meilleure amie" ; alors que les amitiés masculines favorisent les groupes de liens faibles très étendus. la relation. Les liens faibles sont plus prescriptifs que les liens forts, notamment sur les choix et l’affichage de ces choix culturels (bien souvent mis en scène, comme l’appartenance à un groupe identifié – gothique, punk...) avec une "tyrannie de la majorité" comme le titre son ouvrage sur les Cultures lycéennes.

La différence de sexe est une variable forte dans la sociabilité juvénile, explique encore Dominique Pasquier. La manière d’être ensemble est diférente selon le sexe. Pour les garçons, on a beaucoup de pratiques ensembles, communes (sports, jeux vidéo...), alors que dans la sociabilité féminine, il y a une obligation de la confidence : les objets culturels servent de support commun pour parler de soi.

Les technologies relationnelles dans leur ensemble (téléphonie, jeux, sites sociaux...) vont-elles changer le fonctionnement des sociabilités juvéniles ?
Oui, répond Dominique Pasiquier. Les technologies relationnelles renforcent l’agrégation des jeunes du même âge, cassant le rapport intergénérationnel. Dans les années 70, on a connu l’autonomisation culturelle des jeunes dans les foyers : les parents ont encouragé les enfants à développer leur autonomie culturelle avec des pratiques individuelle (la musique, la télé...). Elle a aboutit à la "culture de la chambre à coucher", qui est un espace privatisé dans le foyer où l’adolescent poursuit ses relations extérieures. Alors que la culture juvénile s’organisait contre la culture précédente, désormais on constate la cohabitation culturelle au sein même du foyer. Elle s’est renforcée avec le développement de l’autonomie relationnelle qui permet aux ados d’entretenir depuis chez eux, la vie avec leur groupe d’âge. La vie que l’on partage avec son réseau social ne connait plus d’interruption. La vie du groupe d’âge est continue. Ce qui pose bien sûr des questions sur le rapport entre génération, qui devient marginal.

La nécessité d’avoir un capital relationnel important a toujours été observé dans la sociabilité juvénile, rappelle la sociologue. Mais ce qui est nouveau est de devoir afficher son capital relationnel de façon quantitative. On maximise ses répertoires de téléphone mobile, même s’ils ne correspondent pas à la réalité. On "fait du chiffre". Cela rapproche plus de Boltanski et Chiapello : le capital relationnel change de nature. La comptabilisation de la relation devient une valeur importante qui permet de signaler la reconnaissance dont on jouie, qui atteste sa puissance à agir. Reste que l’affichage du volume suppose de mobiliser du capital relationnel, or l’on sait que le réseau social d’un individu est lié à son origine social : plus on est haut dans l’échelle social, plus les réseaux sociaux sont étendus (quantitativement, qualitativement, et géographiquement). Il y a donc une pénalité automatique pour ceux qui ne mobilisent pas plus loin que leurs connaissances directes. Enfin, l’affichage du volume favorise le modèle masculin de la sociabilité, lié aux groupes de liens faibles (ou les liens forts sont peu mis en scène), au risque de renforcer le conformisme.

Non seulement il faut afficher des chiffres, mais il faut aussi afficher des réseaux utiles, qui améneront d’autres liens et d’autres volumes, explique Dominique Pasquier en faisant référence aux Sentiments du capitalisme d’Eva Illouz et Jean-Pierre Ricard, qui analyse notamment les sites de recontre et comment se fait la productivité des sentiments en analysant l’influence du marketing dans la grammaire relationnelle. La culture du sentiment s’est professionnalisé en objets mesurables.

Certes, les technologies relationnelles peuvent être aussi des ouvertures sur un monde social qui n’est pas celui du proche, du local... Mais, dit-elle plus pessimiste, elles sont aussi et avant tout des technologies qui accentuent des aspects de la sociabilité juvéniles qui ne sont pas forcément des plus sympathiques socialement.

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