vendredi 3 octobre 2008

Francis Jutand : l'avenir des réseaux sociaux

En quasi direct des Entretiens du nouveau monde industriel à Beaubourg. Retour sur quelques présentations.

Francis Jutand, directeur scientifique de l’Institut Télécom et président du Pôle Cap Digital, s’intéresse lui à une approche technico-prospective des réseaux sociaux numériques. Les réseaux sociaux de la société numérique sont une composante des services numériques. Les réseaux socio-numériques donnent un rôle fort aux utilisateurs, qui apportent ou créent des contenus et permettent de fortes interaction synchrones ou asynchones entre eux. Par rapport aux réseaux sociaux existants, le numérique apporte de la puissance (loi de Metcalfe), de la fluidité (les contenus peuvent passe d’un endroit à un autre), on peut y associer des médias différents et on peut y ajouter de la mobilité et de l’ubiquité. Pour les utilisateurs, reste à gérer l’abondance ce qui implique une forte électivité et une forte volatilité des utilisateurs. Le plus souvent, on appartient donc à plusieurs réseaux.

Il y a plusieurs types de réseaux sociaux, synthétise Francis Jutand :
  • - l’évolution des médias de masse permettant des accès massifs, simultanés ou rapprochés à des contenus à "haute valeur désirante" (scoop, évènement, peoples, transgressif, star...).

  • - le développement de communautés numériques centrés autour de la communication (coopération,é change type forum).

  • - l’encyclopédie nuémrique, c’est-à-dire l’assemblage de savoirs et de connaissances par des experts ou des amateurs.

  • - Les réseaux professionnels, pour créer un réseau d’intérêt ou de lobby, direct ou indirect, professionnel ou extraprofessionnel.


Chacun de ces types de réseaux exprime des besoins technologiques différents pour augmenter leur puissance. Dans le domaine de l’encyclopédie, on a besoin d’outils de traitement, d’annotation et d’outils de gouvernance. Dans le domaine des médias, on a besoin d’outils de mesure d’audience, d’outils capable d’assurer la qualité du débit et d’outils permettant de développer des contenus enrichis. Dans le domaine des réseaux d’intérêt, il faut des outils de coopération, des outils de matching pour mieux trier et des outils capables d’assurer la réputation et la confiance. Dans le domaine des communautés, on a besoin d’outils permettant d’assurer la présence, de permettre de nouvelles formes d’interaction (géolocalisation par exemple) et d’animation pour faire vivre ces communautés de la manière la plus intense possible.

Quels sont les moteurs, le carburant et l’impact de ces différents réseaux sociaux. Pour le modèle encyclopédique, le moteur est assurément le partage, la mise à disposition de savoir. De point de vue de l’impact, c’est ici le média des amateurs. Pour le modèle des réseaux d’intérêt, le moteur est l’intérêt (pouvoir utiliser ce réseau d’amis), le carburant est l’information que l’on échange (les opportunités) et l’impact fort tient à exercer son contrôle son lobbying. Du côté des communautés, le moteur est l’appartenance, qui est cimentée par le faire ensemble et l’impact, de plus en plus, va être la "décentration" (on se décentre sur le groupe plutôt que sur soi, ce qui risque d’avoir des impacts psycho-sociologiques importants). Dans le modèle des médias, le moteur est le désir, le carburant est l’audience (massive comme spécialisée) et l’impact est le risque de développer des formes d’addiction profondes, comme dans le jeu.

Par rapport à l’outillage technologique qu’on connait aujourd’hui, quelles vont être les ruptures, les technologies d’intermédiation de troisième génération dans ces réseaux sociaux ? C’est la réalité virtuelle, mobile et immersive qui va créer une intermédiation de la présence bien plus forte : on s’immerge de plus en plus. C’est aussi les agents intelligents et les avatars pour créer une intermédiation plus forte de l’interaction humain-machine, des intermédiaires de cette interaction. C’est aussi les objets communicants et agissants qui vont créer une intermédiation de l’interaction entre l’humain et le monde physique. Enfin, c’est le traitement sémantique qui va créer une intermédiation de l’interaction entre humain et savoir (voire mémoire) : on organise sa mémoire différemment avec l’accès à des outils de mémorisation.

Les ruptures technologiques vont s’appliquer différemment selon les modèles de réseau. Le développement sémantique va avoir un impact plutôt sur les réseaux encyclopédique, l’intelligence sur les réseaux d’intérêt, la virtualité sur les réseaux médias...

Reste à voir les opportunités et les dangers de toute cela. Peut-on croire que la connaissance est neutre ? Il peut y avoir des affrontements idéologiques très puissants autour des réseaux de types encyclopédiques. Du point de vue des réseaux d’intérêts, ils peuvent permettre beaucoup d’efficacité et de créativité, mais ils peuvent aussi développer une "mafiatisation" de ses membres. Du côté des réseaux communautaire, cette promesse d’intensification des liens sociaux fait peser des risques forts sur la "déprivatisation" : on publicise nos affaires privées. Du côté des réseaux de type médias, on a des outils fantastiques pour l’imagination et la sensation, mais il y a un risque fort de "dé-situation".

Quelques éléments de prospective
La révolution numérique met la société en état d’instabilité et de bifurcartion, c’est-à-dire de changement de phase de la société. Les bifurcations sont difficiles à prévoir, mais on peut s’y préparer.

La dynamique des réseaux sociaux est à la fois un thermomètre et un vecteur agissant et destructurant sur toutes les dimensions de la société humaine (communication, coopération, connaissance, contrôle...). Les déstructurations des relations sociales préparent un changemnet vers un monde intermédia à l’échelle mondiale, avec une grande diversité d’axes de restructuration possibles. Les scénarios prospectifs sont là, la meilleure façon de comprendre.

L’évolution des réseaux sociaux doit faire l’objet d’une grande attention. Ils peuvent être pour la société humaine le support de progressions du lien social spectaculaire ou de régressions violentes. Les technologies qui les supportent doivent être développées pour ouvrir le champs des scénarios et anticiper les effets pervers (comme la déprivatisation). L’influence sur les modes de représentation du monde et d’actions, sur les langages et les modèles sont un enjeu de formation pour le future pour que nos enfants maitrisent le monde qui se construit et pour éviter les incompréhensions de ce monde et que les gens les refusent. L’accélération apparente très forte des pratiques doit être mise en rapport avec les évolutions plus lentes des imaginaires qui les sous tendent.

Et Francis Jutand de dresser la topolotige des besoins (la richesse, l’appartenance, le savoir, l’émotion, les sentiments), des opportunités (la créativité, le décloisonnement, l’accès pour tous, le plaisir, les échanges) et des menaces (les fractures, la ségrégation, l’intoxication, l’addicion et la dépersonnalisation). "La technologie ouvre à la création, accélère les destructurations, outille les régénérations, libère si elle n’étouffe pas, elle est toujours au centre du mouvement de la vie", conclut-il.

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