vendredi 3 octobre 2008

Michel Gensolen : Economie des communautés médiatisées

En quasi direct des Entretiens du nouveau monde industriel à Beaubourg. Retour sur quelques présentations.

Michel Gensolen, est économiste, chercheur à Telecom ParisTech au département des sciences économiques et sociales. Les plateformes d’interaction ont modifié les réseaux sociaux, mais quelles influences ont-elles sur l’économie ?

Si l’on peut encore parler de nouvelle économie (induite par le web), c’est parce qu’internet permet un nouveau type d’interaction sociale, spécifique à l’internet. On parle, pour désigner ces structures d’interaction de communautés, de réseaux sociaux, de plateformes d’interaction ou de médias de masse symétrique (pour insister sur le fait qu’on passe d’un système de régulation des échanges des masses médias asymétriques à des masses médias symétriques).

Le lien social ne joue (théoriquement) aucun rôle en économie libérale. Dans le cadre économique standard, les hommes ont des rapports avec les choses, et entre eux (mais ce n’est qu’un moyen pour avoir des rapports avec les choses) et l’agent vendeur n’a que peut d’importance. Les marketeurs s’intéressent bien sûr un peu plus à l’homme-consommateur, mais peu au rapport à l’autre. Ce n’est pas un hasard si les économistes oublient le lien social, car si les fonctions d’utilité ne sont pas innées, si les marchés ne sont pas structurés par des relations privilégiés entre agents, la justification des marchés libres ne tient plus. On comprend que les économistes aient du mal à parler d’internet, car la nouvelle économie induit des lieux d’échange d’informations sur la qualité des biens (et leurs prix) par exemple.

Les liens sociaux ont deux fonctions économiques. Ils permettent de créer des contrats avantageux : c’est la confiance. L’économie libérale remplace la confiance entre deux individus par des règles abstraites issues d’institutions (judiciaire, policier, monnaie, marchés...) qui assurent des relations efficaces entre individus. Dans ce cadre, la confiance entre des étrangers devient possible : on passe des réseaux de confiance locaux, à des réseaux très vastes car ils ne reposent pas à des relations personnelles.

D’un autre côté, le lien social permet l’apprentissage culturel, c’est-à-dire permet de s’intéresser à la dynamique de la demande. On consomme pour avoir des relations avec les autres : par imitation, ostentation ou statut social (comme l’expliquait Bourdieu) ou par consommation culturelle (l’utilité se transforme par les échanges entre consommateurs). Il est assez exact de dire qu’internet change les structures d’interaction : à la fois par les mécanismes de reconnaissance des caractéristiques des biens d’expériecne (critique collective, communauté d’expérience) ; ensuite par la formation des usages et l’apprentissage (mise en commun des expertises) et la formation sociale des goûts (formation mimétique – l’autre me désigne ce que j’aime – ou la formation culture (les biens sont des supports pour avoir des rapports avec les autres et avec soi-même).

Aujourd’hui, ces transformations ont lieu sur des médias de masses asymétriques caractérisés par l’aspect culturel (peu d’agents diffusant vers des audiences larges). Les émetteurs et les contenus sont supposés induits par la demande : TF1 fait les utilités des gens. Dans les MMA, le débat culturel se fait mal (en raison de la passivité, liée à l’asymétrie), la confiance se fait mal (la publicité manipule la forme), et le bundling est onéreux (ruiné par le progrès technique, comme l’a montré le magnétoscope permettant de se passer de la publicité). La conséquence de ce modèle économique réside dans la faible qualité des contenus et la faible diversité des biens échangés.

Dans les MMS, l’audience élabore, utilise et échange autour des contenus. Alors que les contenus étaient des flux (émissions) dans les MMA, ils deviennent des stocks (podcasts, vidéos qu’il faut entretenir). La publicité interfère beaucoup plus avec le contenu, comme le montre la publicité contextuelle de Google. L’interaction entre les fonctions d’utilité des gens est plus intime, plus symétrique, mais aussi plus éclaté selon les communautés, les styles de vie... La contrainte économique du gestionnaire est différente : si les recettes sont faibles, les couts sont également bien plus faibles. La conséquence de ce modèle, c’est la qualité variable des contenus, une plus grande diversité des biens, comme le théorise la Longue Traîne, et nécessite une réflexion sur la qualité de la publicité dans ce nouveau modèle.

Sur les plateformes culturelles, le lien social s’adresse aux caractéristiques et non à l’identité, c’est-à-dire qu’on s’intéresse aux caractéristiques des personnes avec lesquelles on échange, indépendemment de qui il est (on interagit avec des gens qui aiment le cinéma, qu’importe qui c’est). Le lien social est médiaté par le corpus, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de relation suivie entre les individus : on s’intéresse à la critique d’un film, pas aux gens qui la font. La motivation pour contribuer n’est pas principalement altruiste ici : ce qu’on donne au corpus est faible, car déjà faite. Si je rencontre en bug et que je l’ai résolu, je le partage car cela ne me coute plus grand chose, par rapport à l’avantage que cela apporte au plan social. Quant à la motivation à utiliser, elle dépend de la facilité d’utilisation et de la qualité que l’on prête au corpus, c’est-à-dire au contenu comme à son organisation.

Sur les plateformes relationnelles (type Facebooke), le lien s’adresse à l’identité des individus et non à leurs caractéristiques, ce qui est mis en commun (le corpus, ici), ce sont les relations. Ces plateformes ont pour but de créer des liens, induisant de la confiance personnelle. Reste à savoir à quoi visent ces sites : créer une confiance non systémique, c’est-à-dire à la confiance personnelle et non institutionnnelle.

Est-ce que ce qu’apporte l’internet, n’est-il pas l’Identité à responsabilité limitée ? L’internet permet des relations à l’intimité et à la stabilité fluides. Faut-il réfléchir à la législation des avatars, comme le proposent déjà des légistes américains comme Beth Simone Noveck.

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