Pour Dominique Cardon, l'identité numérique est « une technique relationnelle avant tout ». C'est-à-dire que ce qu'on expose de soi est d'abord un problème pour les proches. C'est au regard de l'espace relationnel des individus que l'identité construite pose problème. L'engagement sur les sites du web fonctionne quand il créé du lien.
Sur Facebook, le nombre d'amis est corrélé aux nombre d'information sur eux-mêmes données par les utilisateurs (Lampe, Ellison, Steinfeld, CHI 2007). C'est la formule cachée du web 2 : « pour que ça fonctionne, les informations doivent être rendues publiques par défaut » (exemple des conditions d'utilisations de FlickR : « ne vous inquiétez pas trop »).
Pour comprendre l'identité, il faut distinguer les processus : rendre public des éléments de soi qui sont dans le faire (billets, photos, signets, vidéos publiés...) plutôt que dans l'être (sexe, statut familial). Et un second axe qui distingue le réel (ce que je suis) du projeté (ce que je veux être). On se projette sous des rôles différents et selon des statuts (faire ou être) différents.
En s'inspirant de sa typologie du web 2.0, Dominique Cardon met en exergue trois types majeurs de relations :
- celui des sites de rencontres : où l'on projette un profil masqué, où le moteur de recherche fait une sélection critérielle avant que les individus ne puissent discuter entre eux ;
- celui du clair-obscur de la blogosphère, ou des skyblogs : les individus montrent des choses d'eux-mêmes sous format narratif ou photo, mais sont difficiles à identifier réellement ;
- celui du « phare » comme on le trouve sur flickr ou Wikipédia : les individus montrent beaucoup de choses, les contenus produits servent d'outils de circulation entre les individus. On montre d'abord ses pratiques culturelles, ses activités plutôt que son identité.
Avant que d'évoquer l'identité des personnes, l'identité est un jeu de construction de soi. L'individu montre des facettes de soi différentes et joue avec. L'individu à des gardes robes multiples... Mais surtout, il a des distances à soi, au réel, différentes selon ce qu'il utilise. Dit autrement, l'espace public du web n'est pas homogène, tout n'y est pas visible. Une grande part de ce web est en clair obscur, les moteurs de recherches ne sont pas pertinents sans doute pour des bonnes raisons. Les usagers ont pleins de stratégies différentes pour activer différentes identités d'eux-mêmes.
Néanmoins, on constate un fort mouvement fort d'exposition de soi (on s'exhibe pour faire de la relation), mais en même temps, les utilisateurs, mettent en place des boucles réflexives pour contrôler ce qu'ils publient de soi. On est dans un processus d'apprentissage des conséquences de l'exhibition de soi, comme le souligne l'enquête récente du Pew : plus on expose de soi, plus on cherche à contrôler son image. D'où la naissance de stratégies d'exposition de soit complexes (tags cryptiques pour que son contenu soit moins lu dans YouTube, styles allusifs pour réserver la publicité à un espace restreint...). « On est face à un espace réflexif de l'apprentissage de nos identités. »
Pour Dominique Cardon néanmoins, deux sphères restent différenciées : celles de l'intimité et celle du divertissement (en discussion avec d'autres amateurs, avec des inconnus ou avec son propre public). Au milieu de tout cela, les questions d'identités restent minimes, mais la zone intermédiaire d'exposition qui s'articule entre le privé (personnel) et le professionnel (famille, amis, collègues et inconnus), comme sur Facebook, s'élargit. Naît, semble-t-il, une forme de civilité nouvelle entre le personnel et le professionnel. On dit a ses amis des choses qu'on fait avec ses collègues et inversement. Reste que « la privacy » n'est pas une question pour l'utilisateur phare de Facebook : car son intimité, elle, est préservée : elle n'est pas sur Facebook.
Dominique Cardon a terminé en traçant quelques angles de recherches possibles sur sujet :
- Mieux comprendre la casuistique des troubles de l'identité numérique (collection de micro-troubles que les utilisateurs racontent : petits éléments qu'ils ne savent pas anticiper ou calculer dans leur exposition en ligne).
- Recherche sur la pudeur/impudeur : quelles frontières ? Quelles différences, sociales, sexuelles, générationnelles de ces frontières ? Publierez-vous cette photo sur votre page Facebook ?
- Comment reconnait-on ses contacts sur Meetic, Facebook, etc. Quelles stratégies pour lire des profils d'individus cachés tant qu'ils ne sont pas complètement dévoilés, avant qu'on ait payé pour voir ?
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