jeudi 21 février 2008

La ville complexe et familière

En associant le numérique, le physique... et les personnes : la ville se réécrit. Soit. Mais faut-il oublier Zola, Aragon, Léon Paul Fargues ? Comment nos grands-mères vont-elles la lire ?

Pour Thierry Marcou, directeur du programme Villes 2.0 la ville est un objet complexe par essence. Mais elle se complexifie du fait de l'individualisation des modes de vie qui s'accompagne de désynchronisation (activités parallèles...), parce que les services se personnalisent et se segmentent, aussi parce qu'elle se fragmente dans l'espace et le temps (ville 24h/24), enfin parce que la dimension numérique s'y rajoute.

Comment rendre alors cette ville plus familière ?
- Il faut qu'on puisse continuer à s'y repérer, qu'on sache où on va, utiliser de nouvelles cartographies, de nouvelles signalétiques.
- Il faut qu'on puisse retrouver les autres facilement, comme lors du Buffet dans le métro organisé par Peuplade.fr.
- Il faut qu'on puisse s'entraider, échanger des services.
- Il faut révéler l'hyperlocal pour mieux imaginer de nouveaux services.
- Il faut qu'on puisse s'y retrouver soi-même.
- Il faut que la ville se raconte.
- Il faut qu'elle régule la communication, qu'on me sollicite à bon escient.

Reste que la ville 2.0 souffre d'une cécité : on ne la voit pas forcément. Il faut la révéler.

Pour Nicolas Nova, on ne voit pas les signaux qui parcourent la ville. Comment rendre visible les ondes, les fibres, les échanges, les émotions ? Nicolas Nova passe en visite une série de projets : pigeons blogeurs qui informent sur la polution, systèmes de géolocalisation et de tags urbains (Yellow Arrow...).

Contrairement aux infrastructures civiles (eau, gaz) pour lesquelles on a des interfaces et des réseaux souvent visibles (robinets, tuyaux), il y a encore peu de signes de visibilité du réseau dans la ville (signalétique précise ou pas...). Comment définir une grammaire de signes pour comprendre les interactions possibles dans l'environnement (grammaire RFID). Les services mobiles proposent des services de géolocalisation (de teenArriveAlive... à Plazes ou Dodgeball), mais ils sont encore rares. Si les GPS de voiture fonctionnent bien, les systèmes d'annotation de l'espace ou de géolocalisation sur mobile ne marchent pas toujours très bien (hardware, software compliqués, seuil d'utilisateurs difficile à atteindre...).

Autre moyen de rendre la ville invisible visible, le regroupement de services, parfois hasardeux, mais qui permet d'avoir accès à du développement de photo, du wifi regroupé. On peut imaginer aussi des tee-shirts détecteur de wifi. Autre piste de réflexion : il ne s'agit pas juste de l'oeil, on peut percevoir l'invisible par d'autres sens, le podotactile par exemple...

Mais bien souvent du côté de l'usager, la meilleure manière de se rendre compte du numérique, ce sont les frictions, les problèmes du monde réel qui les révèlent : le comportement des autres, les problèmes, les réparations en cours...

Jean-Louis Fréchin, directeur de NoDesign.net, s'est lui intéressé à la question de la signalétique dans la ville qui est déjà souvent complexe. Ce qui fait l'identité d'une ville, c'est des lieux, des topologies, des symboles, des monuments qui appartiennent aux espaces publics (ville américaines l'inverse : les espaces publics sont ce que laisse les espaces privés). Mais la ville, c'est aussi des traces, une histoire, des épopées qu'on partage. Il y a aussi des signes urbains discrets (plaques d'égouts, plaques de gaz, signalétique d'immeubles, plaques de rues) et des signalétiques différentes, des panneaux de signalisation routière avec leurs variation qui renseignent sur le lieu ou l'on est. Il y a enfin des signes d'utilité public (transports, politique, administratif...) : chaque ville à sa typographie qui foit partie de leur identité.



Il y a aussi dans la ville des signes marchands (publicité, enseignes...) de plus en plus présents et qui font tensions entre les signes publics et les signes marchands : tension entre marque et identité (lbrandity), entre public et privé. Le phénomène s'accélère avec une ville spectacle (monuments spectaculaires), informée, jusqu'à devenir une ville média. Enfin, il y a des signes artistiques, contestataires, revendicatifs. Mais va-t-on arriver demain à lire cette démultiplication des signes ? Quels sont les signes de la ville hypercommunicante ? Aujourd'hui, on a plutôt des signes publicitaires, des marques plutôt que des signes publics.

Est-ce que toutes les villes numériques sont les mêmes ? L'identité de la ville impacte-t-elle la ville 2.0 ? La question de l'identité dans la ville numérique révèle de ce qui nous rassemble et nous différencie, du sentiment d'appartenance cher à Michel Serres. Quels signes faut-il ? Parle-t-on de communication, d'information ?
Les signes du Wi-Fi doivent-ils s'intégrer dans des éléments d'identité public ou sont-ils des éléments surjoués ? Peuvent-ils se métisser avec des lieux et comment ? « Wifi à tous les étages » ou bambous communicants ? Faut-il rajouter des signes ou les fusionner à des identités qui existent déjà ? Faut-il envisager des panneaux urbains transparents ? Faut-il peindre les sols ? Faut-il sur-occuper l'espace public qui est rare et cher ou métisser les objets comme des tables d'orientation connectées, augmentées, des portes écrans ?...

Reste à comprendre quelles informations y mettre : des informations dégradées ? Des informations floues ? On n'a pas forcément besoin d'informations pleinement lisibles, souligne Jean-Louis Fréchin. Quid de la question du confort numérique, alors qu'on a plutôt tendance à voir des ruptures du numérique dans la ville plus que des fluidités ? Qui régulera les signes ? Peuvent-ils s'assombrir pour ne pas capter mon attention ? Sont-ils émis ou captés ? Puis-je interagir et comment ? Sont-ils publics ou privés ? Sommes-nous dans l'information ou la communication ?

On voit bien qu'il y a là encore des tensions à comprendre, pour gérer intelligemment la diversité des signes qu'on voit dans la rue.

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