Du 24 au 26 septembre, à Amsterdam, Hubert Guillaud et Daniel Kaplan participaient à PICNIC, un "rassemblement d'esprits créatifs au confluent des médias, des technologie, des arts et de la culture". PICNIC est à la fois un événement, une conférence, une série d'ateliers et un réseau. Les notes qui suivent tentent de rendre compte de quelques-uns de ses moments forts.
A l'occasion de l'atelier sur la "ville visible" de PICNIC, Lorenzo de Rita, qui est l'un des publicitaires européens les plus primés, avait accepté une commande un peu particulière : partir en voyage dans le temps vers le 15 juillet 2025, y rencontrer des habitants de cette "ville visible" que raconte l'atelier du même nom à PICNIC, et revenir nous le raconter. Il en a ramené une saisissante galerie de portraits (photographiés par Krijn van Noordwijk) qu'il faut prendre le temps de découvrir, avec leurs courtes légendes biographiques : Pierre, le chef aux deux étoiles qui n'utilise que des ingrédients entièrement traçables ; Jan, dont le métier est d'enlever les panneaux de signalisation routière maintenant que celle-ci s'affiche directement sur le pare-brises des automobiles ; Floris, dont la société produit des idées neuves, mais uniquement par accident ; Mei Chi, professeure d'intimité électromagnétique ; Jeremy, qui s'est fait refaire une identité pour pouvoir rejouer au poker après avoir été dénoncé comme tricheur...
On ne saurait résumer le portrait plutôt sombre qu'il trace de la ville visible et de ses habitants autrement que par bribes. Parce qu'on sait tout dans cette ville, qu'on en sait tout, elle ne laisse rien à l'imagination. Le moindre grain de café est étiqueté et tracé. Nous mesurons tout, nous calculons tout. Une Banque de la vie privée stocke tout ce qui concerne chacun d'entre nous et nous aide à en négocier et à en tracer les usages. Si nécessaire, nous pouvons nous racheter une identité complète.
L'intimité devient un combat, ou bien un service qui se vend. Il existe tout de même des entractes urbains, des périodes de 15 mn pendant lesquelles aucun message commercial n'est autorisé, ni sur les écrans ou les panneaux de pub, ni sur les mobiles, ni dans les implants ou sur les pares-brises... On imagine aussi des cafés non-pub, comme il y eut (avant la prohibition) des cafés non-fumeurs. Les individus, ou des groupes d'activistes, ou encore des entrepreneurs malins, inventent toutes sortes de manière de se donner de l'air dans un monde ultra-technologique : des montres qui ne font que dir s'il fait nuit ou jour (et auxquelles il arrive de se tromper), des cures contre l'overdose de tags.
Comme plus personne n'aura le temps de penser, les découvertes seront toutes accidentelles, sélectionnées par essais-erreurs en grandeur réelle. On ne demandera plus à un "créatif" des idées, il y en a trop, mais un "point de vue", un endroit d'où considérer le monde. Et de ce point de vue, ce qui comptera ne sera plus qui l'on est, mais où l'on est. Cette ville inhumaine n'est-elle plus qu'un espace ?
On voit, bien sur, où le "créatif" (c'est sa désignation de poste, même s'il ne l'aime guère) veut en venir : un tel monde n'a pas besoin de créativité, n'a que faire de l'imagination. Ce qui ne serait pas déprimant que pour Lorenzo de Rita...
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