L'initiative pour le "développement urbain connecté" (Connected Urban Development, CUD) que promeut Cisco frappe d'abord par son ambition et par le niveau d'engagement qu'elle a obtenu de 7 grandes métropoles mondiales. Le maire d'Amsterdam a consacré toute sa matinée et son dîner du 23 septembre à la conférence associée à ce programme ; le maire de Lisbonne a fait le déplacement ; Manoel Barroso, président de la Commission européenne, et Viviane Reding, commissaire à la Société de l'information et aux Médias, ont envoyé un message vidéo. Chacune des villes associées a engagé un ou plusieurs projets de grande ampleur : un réseau de télécentres de proximité, un système de péage urbain, des bâtiments verts, flexibles et intelligents, une production et une distribution d'énergie décentralisées…
Si ces projets réussissent, ils peuvent avoir une incidence significative sur la consommation d'énergie, les congestions urbaines, la pollution. Le programme cCUD ontribue à placer la question du développement durable plus près du cœur des préoccupations des décideurs, tant publics que privés. Il illustre le potentiel des technologies pour répondre de manière innovante aux défis environnementaux. Il démontre que le développement durable ne s'oppose pas à l'économie. Pour toutes ces raisons, son apport est incontestablement positif.
Mais pour que son apport demeure durablement positif, il lui faut rapidement élargir son point de vue. La succession des interventions lors de la conférence d'Amsterdam, ainsi que la forme même de l'événement, illustrent en effet de manière assez crue les difficultés de la rencontre entre le développement durable, le monde de la grande entreprise et enfin, les technologies et les cultures numériques.
L'environnement contre le social ?
Des "trois piliers" désormais classiques du développement durable (environnemental, économique et social), le social a disparu de la conférence. Les stratégies durables s'y décrivent dans un monde sans conflits, sans tensions, sans inégalités criantes, sans rapports de force entre employeurs et employés, sans services publics et provés qui disparaissent des quartiers difficiles... Les quartiers verts et les nouveaux développements urbains s'adressent aux classes moyennes supérieures. Les télécentres hébergent les travailleurs non postés du savoir.
Je force un peu le trait, à dessein. L'environnement semble clairement remplacer le social comme enjeu collectif, au prix, parfois, d'une candide admission des inégalités, voire du prix à payer (par qui ?) pour avoir une ville durable : différencier les services et les zones de vie, assigner les habitants à résidence dans leurs grands ensembles éco-conçus, accepter de travailler depuis chez soi en "homesourcing" sous peine de voir l'activité se délocaliser à l'étranger…
Le risque apparaît clairement : si l'objectif environnemental occulte (ou renforce) la brutalité des tensions urbaines, alors, non seulement il ne sera pas atteint, mais la situation finale pourrait s'avérer plus mauvaise que celle du départ.
Une informatique trop raisonneuse
La plupart des applications numériques présentées pendant la conférence tournent autour de la mesure, du contrôle, de l'automatisation et de l'optimisation. On modélise et planifie, ou capte, mesure et cartographie, on pilote, facture et sanctionne, on calcule, minimise et organise… L'informatique classique, celle des processus, excelle dans ce domaine et il est logique qu'on l'emploie à cette fin.
La ville apparaît donc, en creux, comme un simple système, certes complexe, mais qu'il s'agirait simplement d'optimiser. La spontanéité de ses habitants, le caractère imprévisible de ses actions, la déraison qui fait se déplacer très loin pour trouver un bon restaurant, ne font pas vraiment partie de ces projets très raisonnables, voire raisonneurs. Au point, par exemple, que le problème que pose un système intelligent de péage urbain qui suit à la trace chaque véhicule, en termes de vie privée, n'apparaît pas spontanément à ses promoteurs.
Il y a plus : quand on optimise, on tend naturellement à considérer le système à optimiser comme une donnée. Autrement dit, on ne s'interroge pas, ou peu, sur son périmètre. Aux problèmes de mobilité, on apportera des solutions en termes de transports et de tarification, à la rigueur de télétravail – mais on travaillera fort peu sur les temps, sur la flexibilité des espaces, sur l'invention de nouvelles formes de proximité…
6 milliards d'absents ?
Enfin, jusqu'à l'intervention in extremis de J.D. Stanley, responsable de l'activité "secteur public" de Cisco, qui rendait compte de travaux exploratoires communs avec le Mobile Experience Lab du MIT (Etats-Unis), j'ai bien cru que les citoyens resteraient définitivement à la porte de ces projets de ville durable… De même que la conférence, y compris pendant les sessions plus petites, laissait fort peu de temps au débat, les projets présentés descendent, ils font le bien des citadins pour eux, parfois même un peu contre eux. Ils ne sont guère consultés, ils participent encore moins à les définir, quant à en être coproducteurs… La technocratisation de l'écologie accompagnerait-elle aussi rapidement son arrivée au cœur du débat public ?
Le Mobile Experience Lab se focalise sur l'expérience personnelle et sociale de l'usage des technologies en environnement urbain. Sa collaboration avec Cisco a inévitablement emmené le programme CUD sur un autre terrain, celui des échanges, de la participation, de la collaboration, de l'innovation ouverte. Alors que les autres projets du programme Connected Urban Development sont en phase de prototypage ou de test, il ne s'agit ici que de scénarios. Mais c'est un premier pas.
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